Ambassade de France en Allemagne
- Berlin, Allemagne
« C’est un jardin extraordinaire… »
Une ambassade française en Allemagne pour le siècle prochain ce n’est plus seulement un fragment de notre patrie en territoire étranger. Même si l’histoire à moyen terme peut se révéler imprévisible et si les précautions traditionnelles de sécurité et de secret doivent être pleinement appliquées, comment ne pas envisager, dans les décennies à venir, notre ambassade comme avant tout, un lieu d’accueil et d’expression, comme un lieu d’échanges culturels et économiques pleinement représentatif de nos attitudes françaises, de notre sensibilité et de nos particularismes ?
Il devient donc essentiel, ici, de prévoir. Essentiel de faire en sorte que l’architecture proposée puisse progressivement renforcer la fonction réception, accueil, manifestations culturelles dans la symbolique d’un espace ouvert, libéré.
Le concept proposé est celui de la dilatation optimale des espaces ouverts au public, réellement, quantitativement – en nombre de mètres carré – mais aussi visuellement et symboliquement – perspectives, jardins, transparences – un lieu qui ne privilégie pas la froideur officielle, l’expression défensive de la protection, le cloisonnement des espaces cachés mais à l’opposé, qui favorise convivialité, chaleur, larges espaces ouverts intérieurs et extérieurs et vues en profondeur.
Ces intentions étant affirmées, les contradictions sont immédiates. Pariser Platz ne se prête pas à une architecture d’innovation et d’ouverture. Les règles strictes d’urbanisme : alignements et gabarits rigoureux, correspondances rythmiques, opacité requise, la marge de manœuvre est étroite et notre philosophie est bien de respecter la ville qui nous accueille et ses lois propres.
Le site, lui-même, est pour l’essentiel bordé de hauts murs mitoyens qui créent l’impression d’être enfermé. Nous chercherons donc dans le respect de l’unité souhaitée, de l’extérieur à poser une question qui soit symboliquement une invitation à pénétrer, de l’intérieur à dilater l’espace en créant des perspectives, des jeux sur l’allongement des distances, sur l’effacement des limites, sur la création à l’intérieur d’une claire identité française qui sera une surprise « à la française » au cœur de Berlin.
De l’extérieur, la façade est régulière, tramée, massive sur 60 cm d’épaisseur de pierre. Derrière cette lourde trame faite du même matériau que la porte de Brandebourg, une deuxième trame en acier gris crée des meneaux dans chaque fenêtre. Derrière, une troisième trame de refends vitrés et d’acier inoxydable fin matérialise le plan de la fenêtre intérieure. Fenêtre intérieure au nu extérieur, sans cadre, un verre « extra blanc » d’un seul module vient clore la façade épaisse, la rendant strictement lisse ainsi que le recommande les notes de sûreté.
Le rez-de-chaussée se compose de deux grands murs pleins de part et d’autre de la porte principale constituée d’une grille et d’un grand verre feuilleté.
À travers cette porte, en transparence, le promeneur découvre un jardin situé après un grand porche d’entrée, vision classique de la découverte des jardins italiens depuis la rue en Italie du Nord. Cette porte est située sous une marquise constituée d’une plaque dont la sous face est en acier poli. Cette sous face se retrouve au-dessus de l’attique pour arrêter le bâtiment, le toit débordant pour protéger partiellement la terrasse de l’appartement de l’Ambassadeur. De part et d’autre deux grandes fenêtres verticales vitrées sur la trame du calepinage des pierres laissent apparaître des murs végétalisés et au lointain des branches d’arbres. Façade contradictoire, lisse et épaisse, opaque mais trois fois transparente sur la végétation, traditionnelle – dans le dessin géométral – et moderne – dans la lecture décomposée des trois couches tramées qui la compose -.
L’autre façade sur la rue Wilhelmstrasse est basée sur les mêmes principes, le rez-de-chaussée largement vitré, caractérisé par la superposition des trois trames, laisse deviner une très profonde perspective faite de jardins dont on ne peut savoir s’ils sont extérieurs ou intérieurs. Au-dessus de l’attique et du toit apparaissent aussi les branches d’arbres qui révèlent la présence de jardins suspendus.
Le plus surprenant dans la vision extérieure de ces deux façades c’est de présupposer le vide derrière elles, en particulier le long des mitoyens : effectivement l’ensemble des bâtiments est décollé de trois mètres des mitoyens par des failles végétalisées. En réalité l’essentiel des mitoyens est doublé par des murs épais qui cachent les escaliers de secours.
Ces failles créent la lecture des plus grandes dimensions du site, une impression d’extrême profondeur, un allongement de l’espace sur plus de 110 mètres de long.
La répartition des masses construites répond à une stratégie claire qui est de créer le paysage le plus long, le plus profond ou la perspective la plus adaptée pour dilater les lieux.
Ainsi, depuis le hall d’entrée on voit 50 mètres plus loin un fond de perspective organisé autour d’une cascade. Depuis les salons traversants on peut voir se dérouler les terrasses sur près de 100 mètres de profondeur… même chose depuis l’étage de la chancellerie ou l’appartement de l’Ambassadeur… même chose depuis l’espace culturel qui s’organise autour de la cour principale…
Il va de soi que d’autres éléments essentiels du programme sont positionnés, eux, sur Pariser Platz. Ainsi, par exemple, le salon d’honneur et sa terrasse, le bureau de l’Ambassadeur son appartement et sa terrasse, et, la suite du Ministre.
L’organisation du plan est très hiérarchisée. Sur les axes – avec les vues perspectives qui en découlent – les éléments les plus signifiants du programme. En ce qui concerne les bureaux des différentes directions, financière, culturelle, scientifique, ils sont situés dans les bâtiments en terrasse sur la partie Est du site. Ils donnent directement soit sur une terrasse plantée, soit sur un atrium également planté. Ils sont protégés du soleil par des stores à lames vitrées sérigraphiées, orientables qui accentuent l’effet en cascade des terrasses. Ces stores sont portés par de larges consoles vitrées triangulaires qui renvoient dans les bureaux les reflets de fines lignes de soleil, superposées à l’image réfléchie du paysage. Les plafonds de ces bureaux sont légers, de fines trames de paralume réfléchissant les transforment en nappes lumineuses d’intensité variable. Les cloisons perpendiculaires aux façades sont vitrées translucides ou opaque-miroir.
Le mobilier est en accord avec le lieu, de grandes tables carrées servent de bureaux pour une ou deux personnes mais aussi de table d’accueil pour les visiteurs. Les rangements sur le mur du fond sont basés sur le principe coulissant des compacts us dans une version légère.
Dans le bâtiment principal les espaces de représentation, hall, salons, principaux bureaux de la chancellerie sont caractérisés par des plafonds éclairants en verre sablé et gravé, des parquets en larges planches de différentes essences parallèles aux façades principales, ponctuellement recouverts de tapis.
La façade Nord est une façade-serre incluant des plantes en bacs (bambous, hortensias grimpants, orangers du Mexique…). Ainsi le bâtiment principal est toujours isolé, au Nord et au Sud, par une double façade, solution classique dans les pays germaniques et nordiques.
Les autres façades le long des mitoyens sont végétalisées sur le principe inventé par le chercheur du CNRS Patrick Blanc. Il s’agit en fait de jardins verticaux qui sont composés en relation avec les jardins terrasses.
Nous cultivons l’ambiguïté entre la perception des surfaces plantées verticales et horizontales par la similitude visuelle des essences. Les saules par exemple, peuvent exister en arbustes sur les jardins verticaux et en arbres sur les terrasses. Jeu sur le thème de repousser les frontières. En bout de perspectives des miroirs accentuent ces ambiguïtés.
C’est un jardin extraordinaire parce qu’il joue sur la perspective et l’enchaînement successif des terrasses, tels des pendrillons dans une cage de scène, vieille leçon de la perspective palladienne. Le jeu sur la diminution d’échelle progressive est aussi hérité des jardins orientaux.
Mais le jardin est simple c’est une nature « sauvage » qui se développe qui demande un entretien minimum. Patrick Blanc et Michel Desvigne ont étudié l’évolution de ces végétaux. La concurrence entre les végétaux modifie l’ordre initial et c’est très bien ainsi… Les essences sont choisies pour révéler les saisons et résister au froid berlinois. L’eau est omniprésente. D’abord par la grande cascade en fond de perspective de la cour principale. Cascade qui se développe devant un mur de mousse où dégoulinent de petits ressauts d’eau. Les profilés des supports courbes des stores créent de nombreuses petites fontaines quand il pleut, également alimentées en été, par grande chaleur. Ce qui est exceptionnel c’est la profondeur de champ, dans les failles et dans l’enchaînement des terrasses différemment perçus depuis les nombreux niveaux des bâtiments périphériques.
Le jardin se glisse aussi sous les bâtiments en terrasses. Ainsi les visiteurs qui viennent se faire établir un visa sont face à une perspective très profonde de près de 100 mètres de longueur. Elle commence par la vue sur un atrium où une végétation tropicale cultive l’ambiguïté avec les essences européennes. Ce grand espace est, en fait, en réserve, en fonction de l’hypothèse de l’évolution du lieu vers une fonction d’accueil d’un public extérieur plus large – extension possible de la cafétéria, des expositions et lieux de documentation. L’architecture minérale est le support de l’architecture végétale. Elle n’est lue qu’à travers le filtre végétal, généralement en contre plongée, ou alors en perspective quasi horizontale. C’est une véritable surprise pour le visiteur qui découvre un « micro climat » accueillant. C’est pour ceux qui travaillent dans les bureaux une ambiance de travail sereine et douce. C’est le symbole d’une géographie complexe à l’image de notre pays.
Les salles de réunion s’éclairent sur des patios plantés dans les atriums.
Cette omniprésence du paysage est la caractéristique forte de l’intériorité d’une architecture basée sur la lumière. Contre-jours, vibrations des feuilles, éclairages nocturnes, reflets dans les verres, inclusions, superpositions, brouillages complexes et composés, quand le soleil tourne, quand la pluie vient, la sensation, la conscience de l’instant devient plus forte.
L’appartement de l’Ambassadeur et la suite du Ministre sont traités sur le même thème autour de patios en prolongement de terrasses aménagées avec des parterres également végétalisés. Les arbres sont aussi utilisés pour cacher les terrasses accessibles par les salons et les appartements, depuis les immeubles voisins, interdisant toute visée. Ils sont également utiles pour relativiser les vues directes.
L’espace intérieur est ainsi étiré, agrandi et généré par le paysage qui est strictement indissociable de l’architecture proposée, qui sera ainsi rythmée par l’éphémère, les nuages, le vent, les saisons… Cette architecture vibrante est le témoignage d’une sensibilité française derrière des façades berlinoises.
Jean Nouvel