Campus de la Faculté de Jussieu – Bibliothèques

  • Paris, France
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Le vide est une vertu

 

« Je hais le mouvement qui déplace les lignes... »

Charles Beaudelaire

 

L’architecture d’Albert est difficile à vivre. Elle est pourtant pétrie de qualités, de vigueur et de précision, elle est d’une élégance inexorable et revêt un caractère quasi métaphysique suscité par la répétition du paysage. Comme une portée de musique où seules comptent les notes.

 

Le hic de la musique d’Albert, c’est qu’elle doit s’inventer avec le temps. Mais, ici, comme le poète « Je hais le mouvement qui déplace les lignes… » et j’ai acquis la conviction que rien de bon ne peut advenir par la déformation du support, qu’aucune création supplémentaire, à côté, déconnectée du système « Albertien », n’est de nature à résoudre le problème d’ensemble. Quant à exister auprès d’Albert, malgré lui, en le prenant comme faire-valoir, ce n’est que résoudre sa propre équation sans apporter de réponse à la globalité de la question.

 

Le paradoxe de la situation réside dans le fait qu’il s’agit simultanément d’implanter des programmes complémentaires et de dé-saturer le lieu. Ou : « Donnez-nous, donnez-nous, de l’oxygène, de l’oxigèèène ! » autrement dit, de l’espace libre pour respirer, du vide à aspirer, de la lumière, des arbres, des pelouses, de la profondeur de champ, des points de fuite, des traversées, des trous.

 

Ici, le vide devient vertu.

 

Une dynamique s’instaure avec le trop-plein d’Albert et les deux barres limitrophes de notre territoire au nord et à l’est.

 

La perspective depuis le débouché du boulevard Saint Germain est essentielle : elle doit être profonde et claire, ordonnée et libérée de toute velléité de prouesse sans rapport avec le sujet. il serait si tentant d’exécuter là son numéro. Et si facile avec un peu de myopie égoïste. L’IMA ouvre la porte. Le parvis en léger contrebas ouvre sur le territoire de l’université.

 

 

Je propose donc de suivre les lignes d’Albert. Fidèlement, rigoureusement et de vider largement le reste. C’est du dénivelé créé que naît la possibilité de nouveaux bâtiments invisibles et ouverts sur un double espace intérieur bordé d’un péristyle. Espace vert, régulièrement planté, espace ensoleillé, clairement délimité, prolongement aisé du restaurant/cafétéria, de certaines salles d’enseignement aussi…

 

C’est une place urbaine dominée par ses promenades périphériques.

 

Le socle des bâtiments d’Albert est réécrit. Avec des trous sur diverses activités qui seront éclairées, colorées comme les nouvelles activités situées en limite de dalle avec vue sur la nouvelle place.

 

Les murs-pignons sont le juste emplacement pour l’implantation de nouveaux bâtiments-écrans qui, eux aussi, cadreront la vie de la faculté.

 

Les barres sont dégagées en rez-de-chaussée des fermetures hâtives qui ont permis d’abriter en urgence les activités sportives et une bibliothèque. En bref, du vide, encore du vide pour que, du quai, le promeneur ou l’automobiliste perçoive la place de l’université, pour que du Jardin des Plantes, le visiteur devine ce prolongement.

 

En superstructure sur les lignes d’Albert s’installent les bibliothèques. La lumière y vient de l’intérieur par de nombreux éclats comme ceux de ces « yeux larges aux clartés éternelles », ces « purs miroirs qui font toutes choses plus belles » dont parle notre poète.

 

Les façades toutes de verre au nord et à l’est, rendent virtuelle l’enveloppe. Les lignes deviennent légères, incertaines. Avec le soleil, le contre-jour fait le reste. Avec la nuit, l’intérieur devient façade dans un jeu savant de montré/caché qui restera à perfectionner avec les aménagements intérieurs… Des noires, des blanches, toujours des notes sur les lignes.

 

 

Les systèmes esthétiques se superposent. Les bibliothèques se reflètent sur les toits brisés des « serres » recouvrant les gymnases. Et sous le verre se glisse le vert des feuilles… La dalle prolongée devient, pour les enfants, jardin sous les arbres, puis, rampe promenade sur les expositions et la librairie. Le vert se glisse aussi sous l’auvent qui, au-dessus du métro, abrite la place en contrebas.

 

A chaque extrémité de cette place, deux grands « escaliers » faits de larges terrasses plantées abritent un prolongement de l’IMA et une bibliothèque. D’un côté, ce sont les mêmes arbustes taillés du parvis qui symbolisent l’appartenance à l’Institut, de l’autre des arbres de haute tige dans de micro-patios ombragent les lecteurs de la bibliothèque. Deux dénivelés plantés, comme un jardin italien qui se serait étiré…

 

Cet aménagement par le vide se complète par l’architecture déjà proposée pour les deux barres : grandes terrasses sur Paris et le Jardin des Plantes, larges passages vers le quai Tino Rossi… Avec comme point final (?) un aménagement ou un changement radical de la tour Zamansky pour que ce signal lointain soit enfin le clocher de la ville étudiante.

 

 

Jean Nouvel