Lascaux IV – Centre international de l’art pariétal
- Montignac, France
Ranimer l’émotion de Lascaux
L’histoire de la grotte de Lascaux est miraculeuse.
Miraculeuse la conservation millénaire des peintures sublimes.
Miraculeuse la découverte de l’abbé Breuil.
L’histoire de Lascaux est angoissante.
Saurons-nous protéger, éterniser ce chef-d’œuvre de l’humanité naissante ?
La fragilité amplifie le mythe.
L’éternité est confrontée à la fragilité, à l’effacement, à la disparition.
Les émotions ne seront préservées que si la conscience permanente du visiteur d’appartenir au site de Lascaux, à sa géologie, à son biotope, est exacerbée :
- Que si la masse, l’inertie, les profondeurs et leurs obscurités crédibilisent les mystères de l’enfouissement.
- Que si la grotte clonée du XXIᵉ siècle est celle d’un faussaire génial.
- Que si la fragilité et l’immatérialité des techniques d’aujourd’hui rendent plus sensible le choc de la rencontre de deux temporalités éloignées par de nombreux millénaires.
Par pitié, refusez la « disneyisation » et toute forme de commerce pollution qui viennent pourrir les grands lieux historiques avec des images caricaturales et des bibelots honteux !
Seuls l’art – l’architecture, la lumière, la nature – et la délicatesse peuvent rendre ce lieu incontournable comme un hommage solennel du XXIᵉ siècle, hommage in situ à un chef-d’œuvre de l’humanité, chef-d’œuvre naufragé que l’on ne reverra peut-être plus…
Cette dimension dramatique est la clé de l’émotion.
L’effort scientifique doit être doublé par une sensibilité attachée à tous les espaces, tous les détails, toutes les lumières, toutes les vues.
Le site. Il est primordial d’anoblir le site.
Premièrement de planter des arbres, des taillis denses pour éliminer la lecture des constructions visibles depuis le futur musée.
Deuxièmement d’éliminer la lecture triviale de l’avenue de Lascaux et de reporter la circulation sur la rue du Barry.
Ensuite, il faut remplacer la route par deux voies en site propre de « navettes douces » et par une terrasse-promenade située en haut d’un léger dénivelé.
Il faut aussi créer des plantations d’arbres pour cacher complètement le parking de 200 places qui longera ces voies et cette terrasse.
Le reste du site sera pour l’essentiel une « prairie chaude » à la Louis Guillaume Le Roy (laisser en friche un pré sur plusieurs années avec quelques principes simples à respecter).
Des accès piétonniers seront aménagés à travers cette prairie et donneront à lire une sorte de parcellaire très simple. Deux de ces accès seront couverts par des auvents plantés en continuité avec la prairie. Un chemin piétonnier parallèle, légèrement vallonné, permettra de choisir de marcher soit à couvert soit dehors. Il s’agit en fait de fractionner la foule des visiteurs pour éviter l’effet de masse. Ainsi, ceux qui se rendront vers l’espace muséographique seront éparpillés.
Cet espace muséographique est spectaculaire, c’est un geste de land art : sur environ 200 mètres de long, la colline boisée est entaillée par une grande fracture horizontale – un peu comme à Saint-Christophe – on peut la voir depuis l’accès par navette ou par parking. Cette longue façade en profondeur caractérisée par des couleurs chaudes, ambrées, issues de lumières mouvantes. C’est une image inédite.
L’architecture doit ici avoir une dimension métaphysique et poétique.
L’architecture crée une ambiguïté entre le phénomène naturelle et l’intervention humaine.
L’architecture illustre l’idée d’habiter la terre dans des profondeurs immédiatement lisibles de l’extérieur.
L’architecture évoque le roc, une épaisseur habitée modifiée par l’homme.
L’architecture est géométrie complexe, mélange de géométrie pure et de géographie, support des différentes couleurs et lumières elle évoque l’esthétique des origines, de l’apparition fugitive de la lumière dans l’ombre, de la présence des ombres vivantes.
C’est une interprétation, une modification du mythe platonicien de la caverne. Les visiteurs ne comprennent pas, vue de l’extérieur, la raison du mouvement des ombres et des lumières sur les rochers.
La scénographie des espaces muséographiques est totale : elle commence à l’extérieur par la traversée des prairies en jachère, elle continue à l’intérieur par le mystère des ombres et des lumières en mouvement. Mystère renforcé par des variations d’intensités évoquant aussi bien le soleil qui passe à travers les nuages que les flammes du feu qui font danser sur les murs les ombres floues des personnes. Derrière des grilles dans le sol, des projecteurs (alimentés en partie par les capteurs solaires) éclairent en contre-plongée l’arrivée et la déambulation des visiteurs sous l’auvent d’accueil et dans les circulations. C’est une programmation rythmée, aléatoire, de nature à déformer les ombres sur les parois. Ces nuances de lumières chaudes évoquent les torches et les feux. Ces variations de lumière, dans l’ombre, tout au long de la faille évoquent la vie protégée et, de loin questionnent le visiteur, l’incitent à venir voir.
L’architecture en creux le long de la colline est créée par l’implantation d’une paroi dite « berlinoise » (double mur butonné). La longue rampe d’accès au facsimilé de la grotte sera à l’intérieur de cette « berlinoise ». C’est une entrée sombre et mystérieuse, un passage avec des hauteurs très variables allant du très haut au très bas.
Nous voulions proposer une simplification du programme didactique d’accompagnement pour les raisons évoquées ci-dessus… Au vu des réductions budgétaires annoncées nous pensons que l’espace muséographique serait plus solennel sans les théâtres, sans les discussions artificielles entre chercheurs, sans les comparaisons avec l’art contemporain, etc… Nous proposons des espaces simples, intégrant seulement sous une forme holographique et visible sans lunette, des thèmes et des images scientifiques et historiques. Une poétique née du télescopage des images multimillénaires avec des images d’aujourd’hui immatérielles. La matière est d’hier, les images holographiques irréelles sont celles de l’instant : elles n’altèrent pas les traces millénaires, elles sont douces, subtiles, mystérieuses, incertaines.
Le lieu ne sera fréquenté que s’il est totalement exceptionnel.
Reprendre les recettes des parcs d’attractions est d’une banalité fatale.
Ce n’est pas la quantité des spectacles et informations qui fera venir des centaines de milliers de visiteurs.
C’est une attitude, c’est une esthétique unique.
C’est le sentiment de visiter le seul espace muséographique solennel qui marquera à jamais Lascaux dans leur mémoire par des sensations qui leur sont inconnues.
Pour cela, les espaces commerciaux seront dissociés des espaces nobles muséographiques, comme dans les grands musées, à la sortie, les visiteurs traverseront obligatoirement la librairie, le magasin d’objets à la mémoire du lieu et les espaces de cafétéria et de restauration. Cela est situé sous la terrasse, de l’autre côté du pré avant de reprendre les véhicules de transport.
Cette simplification programmatique est de nature à faciliter une réalisation dans un meilleur prix mais surtout positionne le musée Lascaux comme une exception dans le panorama des offres culturelles d’aujourd’hui. Elle accentue la noblesse de ce lieu de mémoire et de respect, et paradoxalement les matériaux les plus symboliques seront ceux qui évoquent la simplicité originelle, la terre battue pour les sols, le béton poncé pour les murs et les plafonds -évocation de la continuité du roc-. Par un heureux hasard, ces principes spartiates autorisent une sérieuse réduction des coûts.
Jean Nouvel