Réaménagement urbain – Caserne San Martín
- Lima, Pérou
À la lumière de quelques questions, un projet pour San Martín
Peut-on admettre qu’un diagnostic urbain puisse naître du dialogue entre ceux qui ont la vue de l’intérieur (qui y vivent) et ceux qui ont la vue de l’extérieur (qui découvrent) ?
Peut-on tenter d’en finir avec les échecs récurrents de l’urban planning global à constituer rapidement de vrais quartiers (urbains) agréables à vivre ? Peut-on admettre comme préalable que pour éviter cet échec le principal problème urbain à résoudre aujourd’hui est celui du lien ?
Questions vitales :
Pourquoi viendrais-je ici ?
Pourquoi reviendrais-je ici ?
Pourquoi aurais-je envie de vivre ici ? (Autrement dit, peut-être d’acheter ici ?)
N’est-il pas temps d’admettre que l’architecture part de l’intérieur, de l’interprétation des espaces du programme, du désir de choisir d’habiter vraiment « quelque part » et non une fois encore « nulle part » ?
Peut-on essayer de mettre en place des règles urbaines sensibles ?
Peut-on leur faire parler de la façon de traiter le vent, la couleur du ciel et de la terre, la végétation d’ici, les vues d’ici.
Peut-on accentuer les caractères architecturaux pour affirmer le point positif majeur du programme : la mixité ?
Peut-on être poli, aimable, généreux, en construisant pour soi mais aussi pour séduire ses voisins ?
Peut-on imaginer que la première phase de travaux puisse engendrer le désir des suivantes ?
Le nouveau quartier de San Martin doit cristalliser le plaisir de vivre à Lima. Il doit révéler les singularités, celles qui sont susceptibles de créer le désir de vivre ici, maintenant. Pour se servir de tous ses atouts, il doit :
- Donner à voir le site géographique de Lima, ses horizons montagneux, profonds et flous, partiellement masqués ou révélés par les nuages.
- Affirmer le contraste entre les lignes brisées du panorama andin et celui, complémentaire et horizontal, de l’océan gris bleu, de sa ligne d’horizon floue qui estompe la limite du ciel et de l’eau.
- Créer un paysage ample et complexe, basé sur la vitalité des plantes équatoriales, aussi bien des arbres-palmiers, flamboyants, que sur la profusion florale des bougainvilliers, l’ensemble en contraste radical avec quelques reliefs de terre ocre, évocation de ces côtes plus ou moins abruptes qui caractérisent un peu plus loin la rencontre de la terre péruvienne et de l’océan.
- Proposer une architecture qui prenne en compte la silhouette, la limite du construit et du ciel pour rendre plus sensible la conscience du temps, de l’air, des brumes, des nuages qui viennent au gré des saisons et des vents plus ou moins cacher le sommet des grands immeubles.
Ainsi les terrasses des architectures de San Martin seront soit accessibles, soit plantées, soit couvertes de pergolas ou d’une ombrella qui laissent voir la vie et la végétation au sommet des tours. Ce nouveau paysage urbain se révèle particulièrement à contre-jour, quand le soleil est bas, matin et soir.
Au niveau du sol, au nord, c’est le projet d’une extension du parc Panama. La végétation vient envahir aussi les terrasses des appartements des quatre premiers étages pour créer une nappe légèrement ondulée qui vient s’infiltrer entre les tours de logements pour réapparaitre au sud et pour se transformer, muter en une profusion de bougainvilliers et autres arbustes fleuris qui, au centre de la composition urbaine, viennent qualifier les vues plutôt plongeantes ou horizontales depuis le centre commercial et nettement plongeantes depuis les appartements au-delà des quatre premiers niveaux.
Cette végétation tropicale devient matériau architectural. Elle grimpe à l’assaut de la façade nord des immeubles de bureaux. Elle crée ainsi de véritables jardins verticaux, verts et fleuris, séparés par des failles constituées de lignes colorées, de miroirs encadrant un aperçu sur l’horizon marin ou urbain. Ainsi les logements ont une vue au sud sur une composition paysagère et florale qui leur est dédiée et qui garantit leur intimité.
Les immeubles de bureaux utilisent leur situation pour créer le point culminant du skyline : les quatre tours se terminent toutes par un atrium au sommet perforé sur ses cinq faces (environ 30% de transparence) qui laisse deviner des intérieurs mystérieux et des jardins. Ces tours sont alignées par ordre décroissant. L’immeuble le moins haut, au sud-ouest, abrite un hôtel où chaque chambre jouit d’une fenêtre panoramique et d’une loggia sur l’océan.
La nuit ces « skylobbies » deviennent de vrais lampions dans le ciel de Lima.
Les failles colorées évoquent les couleurs rouge brique, jaune, vert et bleu, les mêmes couleurs qui viennent ponctuer les quartiers bas et vivants de la ville récente, où l’on peut deviner les lointains souvenirs des polychromies de certains tissus péruviens. Les perforations des jardins intérieurs ou de certaines façades loggia inventent de nouvelles géométries identitaires.
Les appartements développent des typologies traversantes pour bénéficier des vues sur San Isidro et les montagnes d’un côté, et sur l’océan de l’autre.
De grandes terrasses découpent les tours par des horizons plantés. Ces grandes terrasses horizons permettent d’installer des appartements de plain-pied, plein ouest ou sud-ouest entièrement ouverts sur l’océan. Plus haut, d’autres appartements, tous différents, uniques, véritables penthouses cadrent les horizons marins et montagneux. Ainsi chacun bénéficie d’une architecture utilisant le plein potentiel de sa situation et de ses vues.
Le centre commercial lui, établit une transition au sud avec le quartier Miraflores et à l’ouest avec les terrains sportifs qui donnent sur l’océan. Au niveau des rues, une promenade décaissée le long des trottoirs crée une façade vivante, accompagne les commerces-vitrines, qui sont parfois interrompus pour ouvrir une vue sur le cratère fleuri. Sur les terrasses situées devant les tours côté Miraflores ou sur le Convention Center sont posés quelques commerces qui déploient leurs toiles colorées pour protéger essentiellement restaurants, cafés et lieux d’expositions…
Ce projet ne peut exister qu’à Lima, qu’à San Martin, qu’avec un programme mixte et très dense qui crée de hautes silhouettes, de nombreuses échappées et de forts contrastes. L’ensemble génère des espaces calmes et protégés ainsi qu’un centre commercial urbain, rythmé par des vues profondes, miroitantes et paysagères et complété par de larges terrasses ensoleillées, ouvertes et protégées.
Jean Nouvel