Los Angeles County Museum of Art (LACMA)

  • Los Angeles, États-Unis
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Précipiter l’Histoire 

 

La ville est sédimentation, accumulation. Des générations de bâtiments s’affrontent, et se jaugent le temps d’une érosion. À Los Angeles, les architectures sont juxtaposées. La végétation évite les hiatus et le quadrillage des routes révèle depuis la voiture des collages inattendus qui trouvent leur sens dans une vision cinétique.

 

Le LACMA est une juxtaposition maladroite de bâtiments créés depuis quarante ans. Ce développement respire la lenteur administrative et la fatalité de ces décisions de raison où l’architecture, la poésie, le génie du lieu et le plaisir d’être là ne sont pas de vrais critères.

 

Cette juxtaposition s’étend aujourd’hui à un aménagement : le May qui a gardé son parfum des années trente et un nouveau bâtiment voué à l’art le plus récent. Les erreurs du passé inquiètent et l’architecture devient espoir de transcendance de l’héritage. La tentation est grande d’édifier un jalon héroïque qui fait oublier la faiblesse des voisins. Mais une telle attitude serait se servir d’eux comme faire-valoir.

 

Non, il faut positiver l’histoire architecturale et urbaine du LACMA. Il faut valoriser chacune des époques peaufiner ici chacune des fondations existantes. Il faut apprendre à aimer ce qui existe, à regarder avec un peu de tendresse des attitudes un peu démodées, dépassées : ce qui ne veut pas dire laisser en l’état. Ceci implique une analyse fine de chaque bâtiment, de chaque extension, de chaque pollution d’où on déduira un diagnostic qui permette, (comme dans ces réactions chimiques où par adjonction d’un nouvel ingrédient, les autres se transforment, mutent, se solidifient, se colorent, se précipitent), d’inventer, de provoquer l’insoupçonnable.

 

Oui aux façades de Pereira et leur mosaïque de grès. Oui à l’organique chahuté de Bruce Goff. Oui (malgré tout) aux blanches ondulations de céramique de Hardy & Pfeiffer. Oui évidemment à l’angle d’or et aux auvents épais du May. Oui encore au jardin et à l’horizon montagneux. Oui si l’on sait dégager cela de la gangue, si l’on sait faire prendre conscience de l’endroit où l’on est. Oui à une architecture de lien et de transversalité, de sédimentation, d’interférence pour précipiter l’histoire du LACMA et faire oublier l’état intermédiaire d’aujourd’hui.

 

C’est la leçon du XXᵉ siècle : le matériau urbain a été accumulé trop vite, trop mal sur des territoires qui, aujourd’hui sont ceux de notre vie. Ce matériau nous allons le transformer, le révéler, le ciseler, le compléter. Au XXIᵉ siècle l’acte de transformation est un acte culturel aussi important qu’une création ex-nihilo. L’histoire des cathédrales, des palais, des places urbaines s’est toujours faite comme ça à travers les siècles. L’histoire du LACMA se fabriquera dans les transformations qui révéleront ses différentes époques, sa complexité et sa richesse.

 

C’est cette attitude que ce projet développe.

 

 

Jean Nouvel