Expo 2000 – « Le Futur du travail »

  • Hanovre, Allemagne
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Le futur du travail

 

C’est une question politique brûlante. Surtout en Europe. Surtout en France et en Allemagne. Les théories économiques et politiques s’affrontent. Et rien ne serait pire que d’en rendre compte directement. La dimension universelle de l’Expo 2000 nous impose de prendre de la distance et de ne pas prendre parti. Libéralisme ? Régulation étatique ? Partage du travail ? Protectionnisme ? Diminution du temps de travail ? Travail au noir ? Exploitation de la main d’œuvre du tiers et du quart monde ? Exploitation des femmes ? Des enfants ? Course à la croissance ? Fin de la civilisation de consommation ?

 

Le travail est-il une valeur morale ? Est-il indispensable à l’épanouissement ? Est-il un privilège ? Est-il un fardeau ? Une petite minorité va-t-elle faire vivre l’immense majorité d’inactifs ? Faut-il sauvegarder des métiers « inutiles » ? …

 

Toutes ces questions pourraient se développer dans des thèses futuristes qui chacune pourrait donner lieu à une exposition…

 

Nous ne pouvons faire cela sans risquer l’ennui, la confusion et les critiques liées aux choix des options.

 

Pourtant nous devons dire quelque chose. Qui ne soit pas d’un optimisme béat et qui ne soit pas de nature à désespérer le peuple. Après beaucoup de palabres avec d’éminents philosophes et sociologues, j’ai pris l’option d’un « constat » sur différentes situations évolutives possibles et contradictoires. Chacune de ces situations donnant lieu au développement d’un scénario prenant en compte la durée et la notion fondamentale de mutation, d’instabilité, de progression du travail dans la vie d’un homme ou d’une femme.

 

Ceci avec la mise en évidence de trois états du travail :

 

Le travail vif : illustration du travail traditionnel tel que nous le connaissons et le reconnaissons dans l’immense majorité des cas hérités des siècles précédents.

 

Le travail mort : comment ne pas évoquer les situations, souvent temporaires, d’absence de travail ? Comment ne pas évoquer les attitudes que cette absence provoque ?

 

Enfin je propose d’illustrer aussi des formes de travail aujourd’hui non reconnues, des attitudes qui se laissent présager dont on ne sait pas très bien s’il faut les considérer comme du travail ou non. Ces formes floues nous les désignerons sous le terme générique de travail spectral.

 

Le constat proposé se veut un échantillon représentatif de situations contrastées à l’échelle planétaire.

 

Le nombre des situations, une quarantaine, doit permettre de rendre compte des six thèmes retenus par Expo 2000 : work and living, productive work of the future, work and environment, employment and social security, work and health, work relationship of the future.

 

Chacune des quarante situations est illustrée par un mini-scénario. L’ensemble des situations est confronté à des questions, des pensées diversifiées, des aphorismes contradictoires formulés par des penseurs aujourd’hui, avec l’espoir de provoquer réflexion et débats qui pourraient s’exprimer et avoir lieu dans un endroit prévu à cet effet le « super-studio » qui accueillerait talk-show et tables rondes.

 

Ces options étant formulées comment les matérialiser ? L’exposition du futur du travail est d’abord perçue depuis l’espace d’attente situé sur un gril au-dessus de l’aire d’exposition accessible au public.

 

De ce gril émerge un cyclorama implanté sur une ellipse implantée sur deux axes d’environ 80 mètres de long et trente mètres de large.

 

Sur ce cyclorama, on voit apparaître un théâtre d’ombres et de mots clés. Dispositif destiné à étonner et à donner envie d’aller voir à l’intérieur les acteurs qui se découpent en ombre chinoise.

 

L’accès s’effectue par une longue rampe douce d’environ 100 mètres de long qui descend le long du cyclorama d’ombres.

 

Le visiteur débouche alors sur l’axe transversal de l’ellipse, au plus près du point central. Il découvre une grande arène entourée sur une dizaine de mètres de hauteur par une structure légère et peu profonde (environ 2,50 mètres) structure qui se révèle être une scène verticale sur laquelle évolue une multitude d’acteurs, plusieurs centaines (en réalité les acteurs humains sont environ 120, les autres sont des mannequins ou des automates).

 

La première vision est clairement une métaphore planétaire qui peut être lue comme une cartographie évoquant pays et continents.

 

Différentes ambiances sont accumulées, juxtaposées avec des limites claires entre elles pour les différencier nettement.

 

La première question que se pose le visiteur doit être : que font tous ces gens sur la terre ? A la lecture de l’une des quarante situations il saura clairement qu’ils travaillent. Mais l’attention du spectateur est sollicitée tout autour de lui par différents spectacles simultanés… ici il y a plus de pistes qu’à Barnum ! Cependant il est clair que ces différents spectacles créent un spectacle, une gigantesque chorégraphie dont on peut supposer qu’elle n’est pas uniquement due au hasard.

 

Le spectateur regarde vraisemblablement d’abord ce qui est le plus près de lui. Mais rapidement il est attiré par d’autres jeux d’acteurs, dont il se rapproche. C’est une inversion du théâtre en rond traditionnel, du théâtre du Globe. Le public est au milieu, les artistes sur les gradins. Le public est debout, mouvant, vivant comme dans les théâtres des siècles passés où le parterre était à cette image.

 

Au-dessus de lui, de nombreuses lignes lumineuses descendent du plafond : ce sont des journaux lumineux en quatre langues qui affirment et questionnent à propos du travail. Tous les acteurs ne bougent pas. Certains sont figés, certains dans l’ombre, les lumières révèlent progressivement des zones d’ombres dans lesquelles d’autres scènes apparaissent.

 

Les différentes situations sont contrastées : travail archaïque en Afrique, travail robotisé dans une usine de demain, travail à domicile, etc…

 

Le spectateur peut voir l’essentiel des scènes simultanément, le sol bombé avec le point haut au centre facilite la vue sur les acteurs situés le plus près du public. Le spectateur déambule puis sort à l’une des extrémités du grand axe de l’ellipse.

 

Cette approche scénographique qui met en scène des hommes et des femmes en chair et en os a pour but d’affirmer le côté humain du travail, de suggérer la condition humaine.

 

Chaque scénette fait l’objet d’un synopsis qui permet de révéler le sens sans la parole. Ce spectacle est pour l’essentiel muet. Les accessoires sont symboliquement aussi importants que les acteurs. La mise en scène globale basée sur des progressions allant de l’immobilisme total à l’activité générale permet de mettre l’accent sur les différences, les contrastes, les similitudes.

 

Si le dispositif matériel est relativement simple – structure simplifiée, peut être échafaudages ? – la difficulté vient de l’emploi de trois équipes de 120 figurants ou acteurs – équipes qui se relaient.

 

L’espoir et la symbolique, c’est aussi de faire travailler des acteurs aujourd’hui au chômage…

 

Six ou sept scénaristes doivent être requis pour traiter les thèmes choisis par l’Expo ou proposés par les sponsors que nous devons pouvoir intégrer facilement quel qu’ils soient, vue la diversité qui est à la base du dispositif. Une mise en scène unique doit harmoniser les différents scénarios.

 

Cette conception distanciée devrait permettre d’éviter l’ennui qui pourrait naître de tous les dispositifs interactifs traditionnels sur le questionnement technique ou statistique du travail.

 

L’expression du public peut toutefois être organisée par des rencontres dans le super studio.

 

 

 

Jean Nouvel