Musée Rodin

  • Paris, France
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Il est des lieux où, plus que jamais, on voudrait tout simplement s’appeler Mozart. Avoir un génie à la hauteur de Gabriel et Rodin. Et – il faut bien le dire – où l’on exorciserait les atrocités et les mièvreries de ce siècle : oui, c’est l’occasion ou jamais de nous faire pardonner le XXe…

 

Atrocités le fait de platement décapiter une chapelle qui n’avait pas lieu de l’être pour rester plate. Mièvrerie, les dérivés d’un magnifique jardin qui a perdu sa planimétrie et sa géométrie pour sombrer dans la cucuterie de rosiers de pavillon de banlieues voulant transformer penseur et bourgeois en figures d’habitants paysagistes ! Ambition et dignité sont à l’ordre du jour : elles impliquent une attitude claire face à la demande que constitue ce concours. Le Musée Rodin, c’est l’hôtel de Biron, le jardin. Le Musée Rodin, c’est aussi le reste et on ne peut pas être l’architecte digne de cette commande sans voir une pensée et une stratégie d’ensemble.

 

L’hôtel de Biron, ah ! Le petit chef-d’œuvre d’harmonie. Il faut absolument entrer par la porte principale. Mieux, il fait permettre, inviter le passant à venir voir sans qu’il soit obligé de prendre un ticket. Quelle incitation à rentrer, à visiter pour ce passant dès qu’il a compris de façon elliptique la magie de ce lieu… Et puis l’intérieur… D’abord, il faut retrouver les conditions de lecture du monument historique, parquet Versailles partout – exit le parquet sauvage à chevrons – blanc et or les lambris du rez-de-chaussée. Gris Trianon, ceux de l’étage, classique quoi, parfaitement classiques et conformes. Tant qu’on y est, arrangeons la toiture et éliminons les transitions entre ses différents corps mis en place pour parcourir les combles… Décantons, purifions ce chef-d’œuvre.

 

Et Rodin, comment l’installer là ? Directement. Pas avec des faux socles du XVIIIe. Pas avec des encadrements hésitants de maisons bourgeoises qui s’adressent à l’encadreur du quartier ! Non, des socles minimaux. Durs. Sombres. Plus sombres que le bronze. Plus mats. Parallélépipédiques. Des encadrements sur fond de plaques métalliques, fins, nerveux, décollés au mur. Les éclairages ? Idem, de petits parallélépipèdes, sombres, techniques, compactes, qui intègrent ampoules et transfos. Décollés du plafond, implantés précisément. La signalétique aussi, plaques rectangulaires gravées, sombres, décollées du mur. Aucune fixation visible. Bref, que le décalage de ces objets soit net et sans ambiguïté. Qu’ils autorisent une lecture intacte du lieu et qu’ils confèrent à l’œuvre de Rodin les conditions d’une lecture parfaite en contraste avec lambris et petits bois.

 

Ce matériel muséographique et cet esprit seront appliqués à l’ensemble des lieux : sous-sols, expo temporaire, hall d’accueil, boutique…

 

Les sous-sols ? Les voûtes sont superbes. La stéréotomie intéressante. Les interventions seront aussi nettes que dans les étages nobles : un sol en métal sombre et des percements nets dans les murs – les coupes marquées par un doublage métallique de même couleur que le sol – qui permettrait de créer un circuit de salle en salle.

 

Le jardin, en restant proche de l’existant doit évoluer en précision et en dignité. Et oui, on coupera quelques arbres – ce lieu ne doit pas partir de la démagogie habituelle qui consiste à refuser de déplacer un arbre pour satisfaire l’association écolo du quartier ! Son image est internationale. Non seulement le végétal doit être protégé, mais il doit être entretenu ! Et la conception doit être suffisamment simple pour permettre, budgétairement parlant, un entretien. Le temps passé sur les roses, mettons-le à tondre le gazon et à tailler quelques arbustes indispensables. Le parterre doit être plat. Le fond des perspectives travaillé sur la profondeur et sur la « récupération » visuelle des arbres du voisin. Sur l’entrée, il faut recréer les murs et la cour historique. Les murs plus bas qui dégagent quelques vues précises mais qui empêchent le passant d’aller au jardin… sans payer. De part et d’autre, la géométrie du sol et celle des arbustes taillés intégrant quelques sculptures, doit mettre en valeur les œuvres majeures qui restent dans les mêmes espaces : « Penseur », « Bourgeois » et « Porte de l’Enfer ».

 

Le reste – Certains penseront qu’enfin nous parlons de notre sujet… Mais j’affirme que non, que « le reste », nous ne pouvons le penser qu’après avoir présupposé l’existence de ce qui est écrit ci-dessus. Le reste, donc ça ne va pas plus du tout et ça justifie l’urgence de cette consultation. Pour résoudre cette situation pitoyable, il faut une attitude franche, clairement vouée à la mise en valeur de l’Hôtel Biron et du jardin. D’où l’option d’un travail sur la périphérie, l’Hôtel étant l’épicentre, le joyau dont on prépare la lecture. On est bien obligé de faire avec le XIXe siècle qui, s’il n’a plus besoin d’être réhabilité, n’a pas vraiment exprimé ici l’essentiel de ce qui le caractérise : le néogothique reste du néo néo. Il est important de traduire l’intervention du XXe. Vouée à une nouvelle finalité : Musée Rodin. Musée de sculpture. Le bronze et le marbre blanc, a postériori, dans le lieu du classicisme. Nous proposons de recréer une unité par l’insertion ou la création d’éléments moulés de « bronze » (en fait, cuivre ou fonte d’aluminium anodisé vert) qui viennent en superposition sur le construit existant. On voit aussi, de la rue de Varenne une résurrection. Celle de la Chapelle. Signal du Musée depuis, aussi, le boulevard des Invalides.

 

Toiture haute, proche de la volumétrie initiale de la Chapelle mais, jouant sur le contrejour, la légèreté et la perforation de la lumière. Poutrelles, câbles, stores, ultralégers dans la dernière technologie du moment. Mais une technologie discrète, uniquement repérable sur la qualité de l’assemblage et la précision.

 

Cette Chapelle reste le lieu des expositions temporaires. Un lieu contradictoire, parce que fonctionnellement surabondant par rapport au programme. Mais qui offre de multiples possibilités par rapport à la sculpture contemporaine. Et puis il faut le dire tout net. Dans un lieu de cette qualité historique, il y a contradiction à un moment ou à un autre entre une fonctionnalité optimum basée sur l’approche fonctionnaliste réductive et le génie du lieu (au sens de Butor). Nous proposons quelque chose qui marche – qui selon nous et nos consultants marche bien – mais qui n’est pas la solution mathématique du fonctionnement parfait.

 

Mais, de fait, il fonctionne mieux que cela parce qu’un fonctionnement, c’est aussi une envie de se déplacer, d’aller voir malgré quelques mètres ou quelques marches de trop !

 

L’accueil est situé le long du mur est rue de Varennes, rééquilibrant la cour, permettant de récréer le symétrique de la courbe intérieure d’entre par moulage de la partie existante. La caisse est dans l’accueil, la boutique aussi ; bien que cette dernière soit, telle Janus, une boutique à deux visages. L’un à l’intérieur du hall, l’autre sur la rue. L’étal (doublé, au centre) empêche l’acheteur de passer dans le hall d’accueil de façon à l’obliger de rentrer par l’entrée principale. Dans ce hall, les linéaires de vente sont allongés, distendus.

 

En face, dans la Chapelle recréée, un dispositif type échafaudages évolués, permet de mettre les œuvres dans l’espace. C’est aussi l’occasion pour le visiteur d’un point de vue sur Paris et les Invalides. Un autre dispositif suspendu permet de neutraliser le volume pour l’exposition des petites œuvres.

 

L’administration, elle, est située pour l’essentiel sur le mur mitoyen est. L’option prise est radicale : elle requalifie cette limite. Nous doublons l’ensemble du mur par une grille moulée en suivant le profil exact comme un treillage l’aurait fait dabs quelques jardins classique du VIIe arrondissement…

 

Derrière cette grille de vitre storées, des bureaux et des réserves de plain-pied accessibles par transpalettes… Présence fantomatique des sculptures derrières la grille (sauf pour celles qui sont à l’abri de la lumière dans les locaux climatisés). Un auvent, abri de jardin se prolonge jusqu’au fond de la propriété.

 

Cette localisation du construit est selon nous la plus propre à conférer un statut à l’Hôtel Biron et le plus efficace pour créer l’unité du lieu par l’affirmation de ses frontières.

 

 

Jean Nouvel