Centre national des arts du spectacle de Pékin 北京国家艺术表演中心

  • Pékin, Chine
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Principal argument :

 

Peut-on prendre un projet qui ne symbolise pas clairement la Chine ?

Peut-on prendre un projet dont le caractère n’illustre pas clairement des théâtres ?

 

 

Un projet urbain

 

Il faut d’abord résoudre la question urbaine. La construction du Théâtre national chinois va orienter l’organisation du futur quartier à l’ouest et au sud. Construire dans un lieu aussi chargé d’histoire impose une attitude respectueuse et claire.

 

Le Théâtre national chinois doit avoir l’ambition de créer une valeur ajoutée à l’ensemble prestigieux qui l’entoure. Il ne peut être ni un simple et pâle accompagnement historique, ni une création moderne déconnectée. Les données climatiques, en particulier vent et température, doivent être des paramètres importants des décisions initiales.

 

 

D’où les options retenues :

 

L’implantation du Théâtre national chinois ne sort pas de la trame orthogonale nord-sud, est-ouest, qui dicte l’implantation de la Cité interdite, de la place Tian an men et des constructions qui l’entourent.

 

L’influence du parc impérial Beihai, sa végétation et ses pièces d’eau nous amènent à prolonger la végétation et les pièces d’eau autour du Théâtre national chinois et dans l’espace public situé au sud.

 

La présence de la végétation et de l’eau autour du nouveau bâtiment l’intègre à un territoire et adoucit la confrontation avec le Palais du Peuple ou la Cité interdite.

 

L’espace public au sud ne doit pas être un petit Tian’anmen. Il doit assurer l’harmonieuse collaboration du Palais du Peuple avec les équipements culturels ou administratifs qui compléteront le front construit au sud et à l’ouest. Cet espace public serait un jardin combinant minéralité et nature dans une relation clairement établie à l’architecture qui l’entoure.

 

Les quatre façades du Théâtre national chinois doivent être considérées comme essentielles et doivent donner à lire le caractère de l’édifice culturel. Les quatre façades sont des entrées. La façade sud protégée du vent et ensoleillée doit accueillir les foyers, les restaurants et leurs terrasses, les commerces. La façade nord doit répondre aux autres séquences urbaines sur West Chang An Avenue, principalement le Palais du Peuple et la Cité interdite. Elle doit être d’une grande rigueur et d’un certain monumentalisme tout en restant plus basse que le Palais du Peuple. C’est l’horizontalité qui caractérise ces séquences. La couleur doit être en harmonie avec les murs de la Cité interdite et du Palais du Peuple.

 

La trame végétale des arbres d’alignement ne doit pas être interrompue.

 

En stratégie urbaine, le choix essentiel est : monolithisme ou fractionnement du plan et de la silhouette.

 

Notre choix est net : contextuellement, il faut fractionner pour ne pas lutter avec l’échelle du Palais du Peuple et des constructions de la Cité interdite. Un pavé de terrasses plates ou une toiture unique sur l’ensemble du programme serait irrespectueux de l’histoire du lieu et des séquences construites voisines.

 

 

Un projet symbolique

 

Un grand théâtre ou un grand opéra est toujours une représentation symbolique de la ville où il se construit. Quand l’image donnée est forte, elle s’impose et, dans l’imaginaire collectif, elle devient une icône extrêmement attractive, but de visites. C’est donc une partie de l’identité de Pékin et de son image extérieure qui se joue.

 

Le Théâtre national chinois doit exprimer avec modernité les valeurs de la Chine d’hier et d’aujourd’hui.

 

L’architecture est toujours la pétrification d’un moment de culture, époque qu’elle symbolisera pour longtemps. Modernité veut dire réinterprétation des thèmes éternels à partir de nouveaux savoirs, de nouvelles consciences et de techniques récentes. Être moderne c’est faire la meilleure utilisation possible de notre mémoire, c’est connecter les informations récentes et anciennes, et diagnostiquer.

  • L’identité de l’architecture chinoise est symbolisée par le toit. Nous ne saurions imaginer une architecture qui doit symboliser la Chine (théâtre national), symboliser Pékin, sans toit – dans l’anonymat parallélépipédique de l’ordre trivial international.

 

Le Théâtre national chinois a une silhouette identifiable au même titre que celle des œuvres de Garnier à Paris, de Sharoun à Berlin ou de Utzon à Sydney. L’identité de l’architecture chinoise est caractérisée par la symétrie. Par la symétrie avec l’entrée dans la travée centrale, les travées se déclinent toujours par chiffres impairs 3, 5, 7 … Symétrie, valeur d’équilibre, d’éternité.

 

Le Théâtre national chinois s’appuie sur ces valeurs.

  • L’identité de l’architecture chinoise est marquée par la couleur ou plutôt les couleurs, les rouges des murs, mais aussi pour les toits et les décors peints, par les verts et les bleus. Symboliquement le bleu est une couleur particulièrement valorisée, comme en témoignent les porcelaines bleues et le mythe du dragon bleu.
  • Symbole et mythes chinois : ce sont aussi les 5 éléments, à savoir l’eau, l’air, le bois, l’acier, le feu.

 

Le Théâtre national chinois, c’est l’attention portée à l’orientation entrée principale au sud, l’eau coulant du nord au sud. Ce sont aussi les proportions des espaces principaux et des entrées. Le Théâtre national chinois s’efforce de respecter ces traditions qui souvent, comme beaucoup de textes anciens ou religieux, donnent des conseils de bon sens.

 

L’architecture chinoise intègre souvent des peintures figuratives, des personnages et animaux sculptés alignés sur les toitures ou les entrées. Ces toitures textures, animales, écailles, poils sont remarquables.

 

Le Théâtre national chinois joue de ce rapport abstraction-figuration en intégrant trois grandes icônes symbolisant chacune l’une des salles, Orphée pour l’Opéra, Beethoven pour la musique classique et un masque peint de l’opéra de Pékin pour la troisième salle.

  • Le Théâtre national chinois est symbolique aussi du savoir que le peuple chinois a apporté à l’humanité. La principale référence est liée à l’astrologie, la boussole, l’horloge mécanique. Les grands stores externes sont mobiles : ils suivent la course du soleil pour protéger les verrières des foyers. Au plafond de chaque foyer est peinte une représentation cosmogonique, une aiguille liée au bras qui tient la voilestore illustre la position du soleil en relation avec les astres et un calendrier lunisolaire.
  • Au sud, les trois grands stores sont l’évocation du vent. Symboliquement, ils sont aussi bien rideaux (rideaux d’avant-scène de théâtre) que voile (mouvement par le vent, cerf-volant) ou drapeau (théâtre national, les jours symboliques et en l’honneur d’hôtes de marque, les voiles se parent de rouge : le rideau d’or est alors doublé d’un drapeau de soie rouge). Ils sont aussi tulle sur lequel s’inscrit l’image des icônes mais aussi celle des ombres (chinoises) du public.
  • Au nord, les trois grandes portes or, noire-rouge, et rouge évoquent les portes monumentales des grands monuments chinois. Jeux de couleurs et de peinture symbolisent encadrements et cloutages. Ce projet est aussi symbolique de la modernité d’aujourd’hui. Le verre est le matériau d’aujourd’hui et de demain. Sous toutes ses formes. Les jeux sur les lumières naturelles, les transparences, les translucidités, les brillances, les reflets, les textures font du Théâtre national chinois une des architectures à la pointe de la modernité architecturale. Histoire et modernité sont ainsi liées. Elles ne sont pas ennemies : ce qui nous intéresse dans l’Histoire, c’est le témoignage qu’elle apporte sur la succession des modernités.

 

 

Un lieu d’émotion

 

L’architecture est ici pour servir l’opéra, le théâtre et la musique. Chacune des salles doit favoriser au mieux la communion, l’émotion entre le spectateur et l’interprète chanteur, acteur ou musicien.

 

L’opéra est régi par des rites. La qualité acoustique est fondamentale, donc la typologie de la salle.

 

Un opéra n’est pas un grand théâtre moderne ou un cinéma. Il implique une convivialité : le fait que les spectateurs aient l’impression d’être au plus près des acteurs. Pour cela, l’archétype, la salle à l’italienne, est plébiscité par les mélomanes. Au Théâtre national chinois, il ne s’agit pas de refaire une salle à l’italienne comme aux siècles précédents mais de conserver le rituel qui est la condition de l’émotion la plus intense. Pour cela, notre expérience et nos spécialistes sont formels. Ils requièrent des murs habités pour étirer le public jusqu’au cadre de scène. Il s’agit en fait d’un seul rang de spectateurs. Toutes ces places ont leurs chauds partisans, car elles sont parmi les meilleures pour l’acoustique, l’oreille étant tout près du mur réverbérant. Le premier rang de balcons donne toujours l’impression d’être privilégié dans la relation spectateur-acteur. Pour l’auditorium, la typologie shoebox est évidemment retenue puisque c’est elle qui est plébiscitée par tous les grands chefs d’orchestre, grands musiciens et grands mélomanes. La salle en différents bois dorés a la précision et la sensualité d’un instrument de musique.

 

Le théâtre, quant à lui, privilégie la proximité et la bonne vue sur le proscenium. Plus intime, il se réfère aux conditions très simples du théâtre chinois à l’origine.

 

Les typologies des salles d’opéra et de musique ne se bousculent pas impunément. Les salles ne se jugent pas vides, mais pleines, c’est-à-dire pendant les représentations ou les concerts. Il est important que le public chinois découvre l’opéra et la musique occidentale dans des conditions qui gardent intactes les chances d’une émotion, d’une communion totale.

 

Le Grand Théâtre national se doit d’être reconnu comme ayant des salles parmi les meilleures du monde. Pour cela, il s’appuie sur la tradition revisitée par la modernité.

 

L’émotion, c’est aussi le rituel de l’accueil. Les halls, les foyers et l’architecture qui les caractérisent.

 

L’entrée par les passerelles sur l’eau qui reflète le drapeau or ou rouge. L’arrivée dans un espace transparent qui donne à voir la transparence des halls des autres théâtres crée ainsi une situation spécifique digne d’intérêt. Les foyers très hauts sous les immenses images d’Orphée, de Beethoven et du masque chinois derrière les mouvements du rideau d’or ont aussi un caractère unique.

 

Quant aux foyers hauts sous les toits et au belvédère sur la Cité interdite et le parc Beihai, c’est l’exploitation stratégique de l’exceptionnelle situation ; l’émotion naît alors de ces vues du cœur de la Chine.

 

 

Un projet populaire

 

Le Théâtre national chinois sera populaire non seulement parce qu’il représente le lieu où il s’édifie, parce qu’il joue des symboles éternels de la Chine, pas uniquement parce que c’est le lieu d’émotions artistiques raffinées. Le Théâtre national chinois sera populaire parce que c’est un lieu spectaculaire et accueillant. Il donne à voir une architecture absolument unique. Trois grands rideaux – drapeauxstores – voiles – de 30 mètres de haut et 40 mètres de long qui ondulent doucement sous le vent. Ils se reflètent dans l’eau. Les boutiques situées autour du plan d’eau au niveau de l’accès du métro sont entièrement ouvertes au public et constituent une promenade sous ces immenses voiles. Les belvédères sont aussi très attractifs. L’expression d’une modernité architecturale à travers des matériaux verriers (briques de verres, grands modules verriers au sud), les couleurs intérieures et les icônes, tout cela est de nature à attirer pour donner ensuite à commenter.

 

Le Théâtre national chinois sera enfin et surtout populaire par sa fréquentation liée à une programmation faite d’alternance dans les trois salles qui se donnent à voir exactement comme un alignement de profils énigmatiques évoquant dragons, lions ou autres animaux de la voie sacrée. Cet alignement exprime aussi l’importance et la diversité du complexe Théâtre national chinois.

 

Ce projet est populaire aussi par l’apparat développé dans les salles et les foyers. L’apparat est un état d’esprit lié à l’opéra et au théâtre. C’est un cadeau fait au public, du spectaculaire qui lui est directement adressé. C’est une forme de respect du public. Et, l’apparat ne coûte pas cher : ce ne sont pas les mélanges de couleurs, de brillances et de mat qui sont onéreux car les matériaux sont les mêmes et les quantités aussi.

 

 

 

Jean Nouvel