Réhabilitation de la friche industrielle « Sulzerareal »

  • Winterthur, Suisse
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Architecturer un paysage construit

 

Quelle difficulté éprouvons-nous à dessiner in-abstracto des quartiers de ville qui devront se réaliser, progressivement, en dix, quinze ou vingt ans ! Toutes les tentatives depuis trente ou quarante ans sont des échecs, au mieux des demi-réussites…

 

Les données économiques et politiques dans le temps ont raison des tracés les plus savants, des intentions les plus plastiques. À quelques exceptions près – les espaces officiels, l’espace public du prestige – les quartiers de ville ne se pré-dessinent pas : ils se font petit à petit, bâtiment après bâtiment, à mi-chemin de l’aléatoire et du réglementaire. L’urbanisme se réduit à la prévision des réseaux, des voiries et de la densité : les quartiers neufs, les villes nouvelles sont des sauts dans l’inconnu. L’arrivée est souvent brutale. La ville se fait à partir de ce qui existe comme un livre s’écrit en continuité avec la dernière phrase. C’est un processus de concrétion-création. De stratification. Dès qu’un lieu est chargé d’histoire(s), dès qu’il a accumulé sur un territoire du temps de vie, du temps humain, du souvenir, il devient propice à l’évolution, à l’enrichissement. La ville se fait désormais par transformation de la matière, temps accumulé petit à petit, par itération ou par altération. Quelque fois par révélation, révélation de la beauté cachée préexistante…

 

Notre quartier n’échappe pas à cela et le constat effectué sur les bâtiments industriels du site est éloquent : beaucoup d’entre eux ont de la grandeur et l’austère simplicité des architectures faites pour servir.

 

Alors, il ne s’agit pas ici de réhabiliter – nous ne voulons pas magnifier la noblesse des lieux de travail… pas de reconversion – le but n’est pas utilitaire, n’est pas lotir l’existant. Non, je veux ici me servir des atouts d’un site construit en termes de renaissance, en termes d’identité, en termes d’équivalence aussi : que ce nouveau quartier à partir de sa topographie ait au moins autant de « qualités » que le précédent. Et pour cela, au coup par coup, en fonction des programmes proposés par les hasards de l’histoire, ou du futur proche, j’enrichis le lieu de quelques insertions, superpositions, surimpressions, substitutions…

Par touches successives, la ville industrielle mue, mute en ville urbaine, en lieu d’urbanité. De façon complexe, par l’invention métisse de nouveaux espaces de travail, de commerces et d’habitat.

 

Alors, évidemment, nous connaissons les pièges… évidemment, nous démolissons 30 à 40 %, évidemment, tous les bâtiments créés sont indépendants des bâtiments existants sur une logique de dissociation (superposition, inclusion, « accrochages »).

C’est économiquement et techniquement indispensable pour garantir prix et performances. L’existant conservé vient en plus, comme un paysage et ainsi un hall industriel devient place couverte, grand magasin ou serre végétale en hall d’immeuble d’habitation.

 

De la relation du neuf à l’ancien naît un ancrage, un génie du lieu que jamais nous n’obtiendrions rapidement si nous rasions l’essentiel des constructions. Ce n’est pas une idéologie de la conservation, c’est une idéologie de la modernité.

 

Comment aller le plus vite possible dans la bonne direction ?

 

Comment utiliser le mieux possible notre mémoire ?

 

 

 

 

Jean Nouvel