Halle Philharmonique

  • Luxembourg, Luxembourg
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Le lieu de l’émotion

Écouter, c’est être transporté, se laisser envahir. On préfère alors voyager, vibrer, dans un lieu chargé d’histoire, de sens et de sensibilité ; un de ceux qui marquent la mémoire simplement parce qu’ils ancrent les sensations dans une vie réelle, parce qu’ils connectent le temps à l’espace.
Nous avons l’ambition de construire ici un lieu de mémoire et d’émotion.
Fait de certitudes, d’incertitudes. D’évocations et de mystères.
Toutefois, la première question à se poser est celle du sens de la localisation : pourquoi cet auditorium ici, dans le quartier européen, à Luxembourg ?

 

Nous proposons de poser les bases d’une coexistence dynamique entre les immeubles européens et culturels mais, aussi, entre la ville historique et son nouveau développement.
Nous proposons que l’auditorium témoigne de la prise de conscience d’être là, ici et maintenant, à Luxembourg, en l’an 2000.
À Luxembourg il s’agit d’abord d’utiliser les points de repère et d’identification dont nous disposons. Et ceci dans les deux sens : de la ville historique vers le site et du site vers la vieille ville.
De la vallée, l’auditorium doit apparaître sur le skyline, identifiable, énigmatique, traversé par une étrange lumière.
Du site, je dois voir Luxembourg, sa vieille ville, son paysage. C’est pour cela que l’auditorium est implanté, en fonction du relief, sur la ligne de découverte de la ville. Pour aller au concert, le mélomane jouit de la vue sur Luxembourg car l’accès aux salles s’effectue par des terrasses intérieures, des escalators et des foyers stratégiquement disposés. L’auditorium est ainsi un belvédère qui dispose d’une extension estivale naturelle, une longue terrasse plein-ciel sur la vallée habitée.

 

En l’an 2000, si l’architecture est pétrification de sensations et d’émotions vécues, elle doit écrire une page de notre temps dans une correspondance recherchée entre la nature immatérielle de la musique et l’inexorable matérialité de l’architecture.
Mais il s’agit aussi d’être constituant d’un quartier en devenir, de ce point de vue le triangle de Ricardo Bofill est fondateur : une base s’appuie sur le boulevard planté, le sommet opposé indique la vue et suggère la relation à la ville. Les deux autres côtés sont matérialisés par les immeubles européens. Nous proposons de nous appuyer sur cette logique pour caractériser une place qui hiérarchise les bâtiments : les immeubles-portes ouvrent sur cette place ; l’auditorium est implanté à contre-jour, il dégage la vue sur l’immeuble-tour européen qui conquiert un statut urbain en relation avec son importance institutionnelle. L’immeuble Robert Schumann complète la composition en créant avec l’auditorium une articulation spatiale assurant la continuité du paysage, invitant à aller plus loin vers la vallée. L’articulation est dynamique comme dans certaines places italiennes, où les édifices religieux ou publics créent souvent ce type de décalage identitaire.

 

L’espace public se veut naturel, en continuité avec la végétation environnante. Une terrasse marque l’accès à l’auditorium. Elle affirme la limite de cette place verte, simple pelouse incluant la pergola d’un parc ou d’un restaurant, une pièce d’eau et quelques arbres de même essence que ceux qui préexistent. Ainsi le promeneur va, naturellement, au musée en passant par l’hôtel ou l’auditorium. Auditorium qui, monolithe dématérialisé, traversé par la lumière et le paysage, transcende la nouvelle place.

Sa matière est mystérieuse, mutante : du gris anthracite brillant à la transparence avec différents degrés de porosité révélés le jour par le soleil, la nuit par les lumières intérieures. Ces transparences sont le résultat d’une cartographie stratégique pour dégager les vues, créer les éclairages fonctionnels des locaux et les rais de lumière révélateurs de l’échelle de l’espace interne. Si l’ensemble des matériaux extérieurs aux salles est toujours ce mystérieux gris anthracite mutant de l’opacité à la transparence, les intérieurs, eux, sont des évocations diversifiées : l’auditorium principal est décliné sur le registre de la suggestion de l’instrument, c’est une symphonie de bois dorés qui crée une salle d’or. Les chambres d’écho renforcent cet ensemble par leurs murs nappés à la feuille d’or jaune. La petite salle, elle, va de l’or rouge au pourpre, par d’infinies variations. Les autres ambiances sont conçues comme autant de surprises, multiples boîtes précieuses dans l’écrin gris, elles jouent sur la nacre, le verre clair, les velours matelassés, de la cafétéria à l’administration en passant par les loges. Bref, le monolithe est habité dans toutes ses profondeurs, ses épaisseurs, il cache des ambiances précieuses et recèle des sensations raffinées. Pour l’amour de la musique et le plaisir des mélomanes.

 

 

Jean Nouvel